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Voici une bonne nouvelle: au cours de la dernière décennie, les banques de développement et le secteur privé ont pris des engagements financiers de plus de 16 milliards de dollars pour restaurer les fermes, forêts et autres écosystèmes dégradés de l’Afrique à travers l’AFR100 et la Grande Muraille Verte. Il n’est pas étonnant que les bailleurs de fonds soient intéressés — chaque 1 $ investi dans la restauration des terres peut générer 7 à 30 $ de bénéfices économiques tout en protégeant la biodiversité et en luttant contre le changement climatique.
Voici une mauvaise nouvelle: nous ne savons pas exactement combien d’argent a atterri entre les mains de projets gérés localement sur le terrain, mais nous savons que ce n’est pas assez. Au lieu de cela, la plupart de cet argent est allé à de grandes ONG internationales et à des programmes gouvernementaux plutôt qu’aux groupes communautaires ou aux entreprises locales qui restaurent des terres.
Le déficit d’investissement en Afrique est une conséquence d’un problème mondial: le financement pour inverser la dégradation des terres et lutter contre la désertification — Objectif de développement durable 15.3 — manque de plus de 300 milliards de dollars par an.
Dans les 34 pays membres de l’AFR100 et de la Grande Muraille Verte, des centaines de projets gérés localement restent sous-financés ou totalement ignorés. Pour parler franchement, nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre l’objectif ambitieux du continent consistant à restaurer plus de 100 millions d’hectares de terres dégradées d’ici 2030, ce qui fragilise la capacité des nations africaines à nourrir environ 2,5 milliards de personnes d’ici 2050.
Actuellement, la désertification affecte 45% des terres africaines, et 55% de cette zone est vulnérable à une dégradation accrue. Si la désertification continue de progresser sans contrôle, la baisse des revenus issus des cultures céréalières, à elle seule, avoisinerait 4.6 mille milliards de dollars de 2015 à 2030.
Pourquoi investir dans des entrepreneurs africains qui luttent contre la dégradation des terres ?
Alors que nous entamons la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes (2021-2030), certains leaders mondiaux de la restauration les plus influents ont lancé un cri de ralliement: nous devons investir dans des entrepreneurs qui tirent parti des chaînes de valeur agricoles et forestières durables pour créer des emplois permanents et reverdir leurs écosystèmes.
Ces modèles commerciaux pilotés localement présentent une voie prometteuse pour inverser des décennies de dégradation des terres tout en créant des emplois pour le plus jeune continent du monde. La plupart d’entre eux ne considèrent pas la restauration comme une œuvre caritative, mais comme un moyen de sortir leurs communautés de la pauvreté tout en luttant contre le changement climatique et en restaurant la biodiversité et les services écosystémiques perdus.
Certains entrepreneurs sont prêts à investir tandis que d’autres ont déjà reçu des fonds. Beaucoup d’autres ont besoin d’un soutien pour développer leurs compétences commerciales et leur capacité à absorber des financements. Une petite entreprise ne sera pas prête à recevoir un investissement d’un million de dollars. À cette fin, des programmes comme Land Accelerator Africa de WRI et UpLink Challenge du Forum économique mondial offrent aux entrepreneurs de la restauration la formation et le mentorat dont ils ont besoin pour renverser collectivement la tendance contre la dégradation des terres.
Avec plus de 2 000 candidats au programme Land Accelerator Africa depuis 2018, une chose est sûre: ces innovateurs peuvent créer d’énormes changements en ayant accès à un financement prévisible et abordable.
Par exemple, lorsque les entreprises de restauration des terres prospèrent, elles fournissent de nouvelles sources de revenus aux agriculteurs dont elles achètent et transforment les récoltes; cela présente une alternative à l’expansion agricole liée à la déforestation. Ils peuvent également améliorer la sécurité alimentaire en réduisant les pertes et le gaspillage alimentaires ; réparer les sols endommagés par les engrais chimiques ; et renforcer la résilience aux inondations, aux sécheresses et aux glissements de terrain induits par le climat en faisant pousser les arbres écologiquement bons dans les fermes et les collines cultivées en terrasses.
La petite dimension de ces entreprises naissantes – les entreprises des cohortes 2018 et 2019 Land Accelerator avaient un chiffre d’affaires moyen de 288 000 $ – leur donne un avantage surprenant. Leur lien étroit avec les zones où ils travaillent leur permet d’adapter leurs stratégies de restauration à l’écologie du paysage et aux objectifs environnementaux, sociaux et économiques des personnes qui y vivent.
C’est également une bonne nouvelle pour les investisseurs, en particulier ceux qui adoptent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Travailler avec des entreprises dirigées localement peut garantir que leurs investissements soutiendront des activités qui maximisent les avantages écologiques, se conforment aux lois et réglementations locales et aident les groupes marginalisés comme les femmes et les jeunes, tout en réalisant des bénéfices.
Tenez, par exemple, Sadik ibn Abdulai. Après avoir vu son terroir dans le nord du Ghana succomber lentement à l’avancée du désert du Sahara, ibn Abdulai s’est tourné vers un allié petit mais puissant: les abeilles. Il a fondé Tilaa, une entreprise qui travaille avec des agriculteurs pour produire des noix de cajou, des aliments pour animaux, du miel et d’autres produits apicoles.
En ajoutant des ruches et des anacardiers sur les terres cultivées, ibn Abdulai et son équipe aident un réseau de plus de 500 agricultrices à adopter des pratiques d’utilisation des terres respectueuses du climat et à fortifier leurs terres contre la désertification. Les anacardiers sont connus pour leur capacité à pousser dans un sol sec et sablonneux et peuvent résister à la sécheresse et aux températures élevées, ce qui les rend idéaux pour le climat du nord du Ghana. Les abeilles pollinisent les anacardiers et d’autres cultures dans les environs, augmentant les rendements. À leur tour, les arbres produisent des fruits, améliorent la qualité du sol et freinent l’érosion grâce à leurs systèmes racinaires étendus.
Plus important encore, les femmes cultivent maintenant des arbres qui génèrent des revenus : elles revendent leurs noix de cajou, leur miel et d’autres produits apicoles à Tilaa pour la transformation, l’emballage et la vente sur les marchés nationaux et internationaux.
Depuis sa création en 2015, Tilaa a distribué plus de 120 000 plants de cajou pour restaurer 300 hectares de terres dégradées. Les femmes du réseau de l’entreprise rapportent que leurs revenus disponibles ont quadruplé, passant de 500 $ à 2 000 $, et qu’elles n’ont plus besoin de recourir à des pratiques non durables, comme la coupe illégale d’arbres, pour joindre les deux bouts. La société enregistre automatiquement ses agriculteurs auprès du régime national d’assurance maladie du Ghana et crée un fonds de crédit renouvelable pour les soutenir dans d’autres entreprises économiques.
Combler le déficit de financement pour les entrepreneurs en restauration de terres
Si ibn Abdulai disposait de plus de fonds, il pourrait facilement intensifier son action pour acheter de nouvelles machines afin d’augmenter l’efficacité du traitement, embaucher 500 femmes supplémentaires et restaurer 300 hectares de terres supplémentaires. Il y a des milliers d’entrepreneurs comme lui à travers l’Afrique avec de nouvelles idées qui pourraient être converties en entreprises rentables avec peu d’investissement en amont.
Pourtant, de nombreux investisseurs rechignent à investir dans les petites entreprises. Au lieu de cela, ils suivent un schéma d’investissement qui reflète largement un modèle de capital-risque traditionnel, préférant financer de grands modèles commerciaux à croissance rapide qui nécessitent des millions de dollars d’investissement.
Ces entreprises travaillent souvent dans des chaînes de valeur établies, comme le café ou le cacao, ou sont des start-up technologiques promettant des solutions rapides à la crise climatique. De telles organisations sont mieux équipées pour absorber de grandes quantités de financement — comme l’investissement de 28 millions de dollars dans la start-up kenyane de produits du bois Komaza — mais ces opportunités sont rares et peuvent ne pas être en phase avec les besoins et les objectifs des communautés locales.
En revanche, WRI et son partenaire Fledge promeuvent un modèle d’investissement qui augmente la rentabilité des petites entreprises et maximise le montant des revenus générés pour chaque dollar investi, selon la fondatrice de Fledge, Luni Libes. Ces investissements sont généralement plus petits — les anciens du Land Accelerator nous disent qu’ils ont besoin de 50 000 à 1 million de dollars chacun.
Par exemple, les entreprises qui plantent des arbres génèrent des revenus en vendant leurs produits : avec ce financement elles acquièrent des actifs, comme des terres et des arbres, qui ajoutent de la valeur à leurs activités et ont un impact encore plus important sur l’environnement.
Nous savons que ce modèle fonctionne car les 104 entreprises de 34 pays qui ont achevé le Land Accelerator Africa nous ont dit avoir collaboré avec près de 400 000 petits agriculteurs, créé 12 000 emplois et commencé à restaurer 130 000 hectares de terres dégradées.
Pouvez-vous imaginer l’impact du financement des 2 000 entrepreneurs qui ont postulé au programme?
Un investissement massif dans la restauration locale des terres est possible
Il est temps de débloquer des investissements massifs dans les petites et moyennes entreprises (PME) ou les entreprises avec moins de 2 millions de dollars d’actifs au total (en dehors des terrains). En bref, nous avons besoin d’un système de mentorat et de formation qui augmente leur capacité à absorber les flux financiers, renforce leurs modèles commerciaux et élargit leur clientèle. Ce cadre doit comprendre:
1. Programmes robustes de formation commerciale
Après avoir participé au Land Accelerator en 2018, ibn Abdulai a tiré parti de ses nouvelles connaissances et de ses nouvelles relations pour affiner son argumentaire commercial et promouvoir son entreprise sur divers canaux. Bien que les revenus de Tilaa aient légèrement baissé en 2020 en raison de la pandémie de COVID-19, ibn Abdulai s’attend à ce que d’ici la fin de 2021, les revenus de l’entreprise grimpent à 367 000 $, soit le triple de 2019.
Il n’est pas seul: les anciens de Land Accelerator rapportent qu’après le programme, leurs entreprises ont doublé de taille en moyenne, ce qui montre qu’un peu de formation peut faire beaucoup de bien.
Et le Land Accelerator n’est qu’un des nombreux incubateurs régionaux. Des programmes tels que Restoration Factory offrent également une formation technique essentielle, un mentorat et des compétences en marketing pour aider les entreprises à développer leur marque et à se connecter avec des financiers potentiels. La prochaine étape consiste à étendre ces programmes régionaux et à créer des accélérateurs nationaux qui peuvent susciter un flux de financement plus consistant à destination d’entreprises pouvant faire l’objet d’investissements.
2. Des politiques publiques favorables
Les entreprises qui cherchent à obtenir un prêt sont confrontées à de nombreux défis, notamment des taux d’intérêt élevés, l’exigence d’une garantie initiale pour être admissible à des prêts et des plans de remboursement à court terme. Étant donné que les arbres sont un investissement à long terme – ils peuvent mettre des années à porter leurs fruits – les entreprises arboricoles nécessitent une flexibilité pour l’octroi de prêts à long terme que la plupart des prêteurs ne peuvent pas offrir. En raison de ces défis, des milliers de PME en Afrique subsaharienne ne reçoivent pas de financement et font face à un déficit de financement annuel de 65 milliards de dollars.
Les capitaux publics peuvent fournir un financement précoce aux start-ups lorsque les banques privées ne sont pas disposées à prendre le risque. Les programmes d’incitation et les programmes d’investissement du gouvernement peuvent être une source importante de financement pour couvrir les coûts initiaux tels que le développement des pépinières et les infrastructures pendant les années difficiles de démarrage d’une entreprise.
Ils peuvent également soutenir les plans d’assurance privés des entreprises, garantissant que les start-ups reçoivent des indemnités pour les dommages subis même si la compagnie d‘assurance fait faillite. Enfin, les gouvernements peuvent fournir des subventions directes pour les produits provenant de terres restaurées afin de renforcer le résultat d’exploitation des entreprises.
Cependant, de nombreux programmes de soutien gouvernementaux existants sont en proie à des processus bureaucratiques maladroits, des paiements lents et une faible sensibilisation du public. Pour mieux répondre aux besoins des entrepreneurs, des femmes et des communautés autochtones qui restaurent les terres, les décideurs doivent adapter les incitations agricoles et forestières.
En Amérique latine, la Restoration Policy Accelerator de WRI s’est associé à cinq pays pour analyser les politiques existantes, diagnostiquer leurs faiblesses et travailler avec des responsables gouvernementaux pour réorganiser les programmes d’incitations. En adoptant cette approche dans toute l’Afrique, les pays peuvent accroître le développement des affaires et réduire les risques d’investissement.
3. Des intermédiaires solides pour regrouper et décaisser les financements
Plus une entreprise compte d’investisseurs, plus ses flux financiers et son reporting sont compliqués. Investir dans des milliers d’entrepreneurs en restauration nécessitera des intermédiaires financiers solides qui regroupent un éventail d’entrepreneurs bancables, puis acheminent des fonds vers eux. En mutualisant les financements, ces intermédiaires de confiance – grandes organisations à but non lucratif, agences gouvernementales, institutions de microfinance – réduisent le temps nécessaire aux investisseurs pour trouver des investissements intéressants et le nombre de sources de financement pour les entrepreneurs. Un groupe de ces intermédiaires travaillant ensemble dans le cadre de l’AFR100 pourrait coordonner la façon dont le financement est distribué aux entrepreneurs et planifier la démarche pour un impact maximal à long terme.
4. Financement d’entreprise de confiance à grande échelle
En 2020, l’intérêt des entreprises pour le financement d’initiatives de restauration a grimpé en flèche avec le lancement des alliances comme Trillion Trees et Priceless Planet Coalition. Pourtant, ces sociétés multinationales ont du mal à se connecter à des projets de restauration à petite échelle en qui elles ont confiance et qui peuvent faire pousser les millions d’arbres nécessaires pour contribuer à leurs objectifs climatiques. Pour atténuer le risque d’échec de projets et d’accusations de « greenwashing », ils recherchent des organisations ayant fait leurs preuves.
Le problème est qu’il n’y a pas beaucoup de grands projets (plus de 10 000 hectares) et le pool existant de ces grands projets est dominé par des ONG externes qui manquent de connaissances locales. Cela génère un climat de confiance insuffisamment fort pour susciter un financement significatif des entreprises durables dans les zones rurales.
En réponse, des plateformes de jumelage comme TerraMatch, des organisations de certification carbone comme Verra et même le moteur de recherche populaire Ecosia mettent en relation des sociétés avec des projets crédibles et approuvés gérés par des entrepreneurs locaux qui offrent les avantages carbone, environnementaux et sociaux souhaités par les entreprises.
Avec plus de 20% des 2 000 plus grandes sociétés mondiales déjà engagées à atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050 – et alors que les entreprises décarbonisent leurs opérations et leurs chaînes d’approvisionnement – la demande de projets de restauration qui séquestrent le carbone ne fera que croître. En préparation, le WRI et ses partenaires mobilisent des capitaux pour un fonds de plusieurs millions de dollars qui fournira des prêts abordables aux entrepreneurs africains qui peuvent les préparer à absorber des investissements encore plus importants dans les années à venir.
5. Systèmes de surveillance accessibles et précis
Pour maintenir la confiance des investisseurs, les entrepreneurs ont besoin de systèmes de suivi centralisés et accessibles qui peuvent les aider à rendre compte efficacement de leurs progrès, même dans les zones reculées. Les outils de suivi au niveau du projet disponibles sur des plateformes telles que TerraMatch et l’application Regreening Africa utilisent une combinaison d’images satellite, de photos de sites et d’autres données autodéclarées pour accroître la transparence pour les investisseurs, leur permettant de vérifier plus facilement l’impact de leur portefeuille.
Les développeurs de projets devraient également utiliser ces outils pour présenter leurs réussites, améliorant ainsi leurs chances d’obtenir des financements supplémentaires. Quant aux investisseurs, ils doivent communiquer les réalisations de leurs partenaires et encourager leurs pairs à investir dans des entreprises similaires.
Un aperçu de l’avenir
L’autonomisation des entrepreneurs comme Sadik ibn Abdulai a non seulement des avantages environnementaux, mais crée également des emplois, améliore la diversité économique et renforce la sécurité alimentaire et hydrique. Ces contributions sont plus importantes que jamais alors que le monde continue de faire face aux effets désastreux de la pandémie de coronavirus.
Si nous voulons atteindre les objectifs de l’AFR100 et de la Grande Muraille Verte, et poursuivre des objectifs similaires dans d’autres régions, nous devons prendre des mesures tout aussi audacieuses. Ibn Abdulai et ses homologues donnent l’exemple.
Avec le bon soutien, des milliers d’autres entrepreneurs sont prêts à poursuivre leur propre voyage et à développer un continent vital et prospère.
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Traduit de l’anglais par Angel Cibemba